"Ayez de la pitié pour lui, mais n'ayez aucune compassion"

31 août 2015

"Ayez de la pitié pour lui, mais n'ayez aucune compassion"

Jeffrey Dahmer, tueur en série coupable de 17 meurtres, est une figure cauchemardesque mythique des USA. Arrêté en 1991, condamné à 957 ans de prison, il a été assassiné par l'un de ses codétenus, point final d'une odyssée sanglante et perverse. Derf Backderf, diplômé en journalisme, relate la génése du monstre lors de ses années collège et lycée, dans son roman graphique au titre provocant Mon ami Dahmer. L'auteur, outre des recherches précises et le recueil de témoignages, s'appuie sur une source insetimable : ses souvenirs ; il a en effet partagé l'adolescence du serial killer, étant l'un de ses camarades de classe.

En noir et blanc, dans un style typique du dessin underground US à la Crumb, en moins fouillé toutefois, Derf Backderf tente, tout en s'éxonérant sans cesse de toute responsabilité, de comprendre comment une personnalité aussi déviante a pu ne jamais attirer l'attention des adultes. Comment est-il possible que personne n'ait jamais repéré le danger représenté par cet adolescent solitaire, qui passait son temps à imiter les cris des malades mentaux, les crises des épileptiques, avant de trouver refuge dans l'alcool pour chasser de son esprit ravagé ses pulsions et ses fantasmes homosexuels et nécrophiles ? Peu à peu Dahmer devient une sorte de "freak" que l'auteur et ses amis adoptent comme une sorte de mascotte, de clown triste et malsain.

A Richfield, banlieue monotone de Cleveland, au début des années 70, Dahmer, souvent représenté tête baissée, les yeux rivés sur ses chaussure, voit sa folie croître sans cesse. Il plonge d'abord des animaux morts dans l'acide, massacre un poisson dans une scène qui va crescendo ("je voulais juste voir à quoi ça ressemblait"), puis tue et dépéce de petites créatures avant de s'attaquer à un chien, et de lorgner un jogger, une batte de base-ball à la main. Ses parents sont bien trop occupés par leur divorce pour remarquer la démence de leur fils. La séparation entérinée, la mère de Dahmer partira avec son frère... mais sans lui !

Sans ambiguïté ("Ayez de la pitié pour lui, mais n'ayez aucune compassion") Derf Backderf signe avec Mon ami Dahmer un livre angoissant mais, étrangement, non dénué d'humour. On rit souvent à la lecture de cet ouvrage, mais d'un rire inquiet, glacé.