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Bulle au bond
20 février 2016

Le grand A, du grand art !

Couv

"Ce livre est né suite à une séance de dédicaces donnée à Auchan. Nous avons discuté avec le personnel et fait une visite du magasin. Il y avait des choses à raconter." C'est ainsi que Jean-Luc Loyer, explique la genèse de Le grand A, brillante bande dessinée scénarisée par Xavier Bétaucourt - les deux compères ont déjà signé Noir Métal, au cœur de Metaleurop - qui plonge le lecteur dans la vie du Auchan de Noyelles-Godault, de ses employés, de ses clients et des villes alentour. "Ce sont plus les gens que le magasin qui nous intéressaient. Nous voulions réaliser leur portrait." Cet hypermarché gigantesque, le plus grand de France, est "un endroit emblématique ; c'est le héros de notre livre. Nous avons voulu le montrer dans sa situation géographique et sociale." Le centre commercial est en effet lié à son environnement, aux communes qui l'entourent et sur lesquelles il influe. Construit en périphérie en 1972, il est peu à peu devenu le centre, presque l'âme, de l'ancien bassin minier au fur et à mesure que les cités se vidaient de leur commerce, de leur vie. Aimant et pieuvre, il draine les rêves consuméristes des habitants et pèse sur l'ensemble de la région... au point que l'un de ses directeurs imagine même la création d'une gare TGV spéciale pour lui ! Il a joué un rôle dans l'arrivée de Gervais Martel à la présidence du RC Lens, l'un de ses dirigeants est élu à Noyelles-Godault, il est l'un des mécènes du Louvre Lens - les planches 28, 29, 30 tissent un saisissant parallèle entre les deux entités. 

Les auteurs ont rencontré de nombreuses personnes - cadres, hôtesses de caisse (on ne dit pas caissière), vigiles, chefs de différents rayons, clients, chapardeurs, artisans, vendeurs sur les marchés, élus... - pour mener une véritable enquête, pour montrer le poids d'Auchan dans le Pas de Calais, pour détailler ses méthodes, souvent cruelles et hypocrites, mais semblables à celles de ses concurrents. "Des systèmes comme la "triple moulinette" nous ont été expliqués. Nos interlocuteurs apparaissent dans le livre mais sont méconnaissables ; certains travaillent encore dans le magasin. Le professeur Incognito, qui détaille l'évolution de la région, est ainsi le mélange de plusieurs témoins" détaille Jean-Luc Loyer qui affirme ne pas avoir écrit "un livre à charge, d'opinion. Nous sommes dans l'explicatif. Nous montrons des situations, des personnes ; au lecteur, qui est intelligent, de dégager la problématique, de penser ce qu'il a à penser. Nous ne sommes ni pour, ni contre la grande distribution. Il y a une ambiguïté sur ce commerce. Je fréquente les hypermarchés : ce serait donc mentir de dénoncer quelque chose alors que je fais le contraire ! Nous voyons les problèmes, des choses transpirent dans notre démarche mais on doit faire avec, comme les hommes politiques qui, dans leurs programmes, s'opposent à ce système mais, une fois élus, ne font rien contre."
Le grand A, œuvre dense, dépasse ce riche aspect documentaire qui incite à la réflexion. Il est aussi une chronique autobiographique, qui révèle l'importance de cet Auchan pour les locaux. Jean-Luc Loyer, né à Hénin-Liétard en 1964, se met ainsi en scène, de son enfance au début de sa vie d'adulte, à travers des scènes drôles, tendres ou cocasses en rapport avec la grande surface. "C'est du vécu ; il n'y a rien d'inventé dans ces anecdotes. Xavier apporte les chiffres, le côté journalistique, technique. Moi j'apporte, par mes souvenirs, de l'empathie. Le grand A influence une vie !


Pour restituer graphiquement cette variété, Jean-Luc Loyer joue beaucoup sur les couleurs. Le noir et les niveaux de gris dominent, desquels jaillit le sang des poulets dans l'abattoir, surgit le rouge d'une pomme ou se détachent les caractéristiques des protagonistes - le vert des gilets des hôtesses, le marron d'un blouson, le roux ou le blond d'une chevelure. "C'est une astuce graphique ; la couleur est un mode narratif , elle raconte quelque chose" éclaire le dessinateur qui utilise aussi le marron pour présenter une brève histoire du commerce à travers les âges ou pour les flash back.

Avec une grande tendresse pour la population locale, Jean-Luc Loyer et Xavier Bétaucourt signent  une œuvre qui révèle ce qu'est désormais l'ancien bassin minier, ce que sont ces habitants, ce qu'est cette vie à l'ombre du grand A ; une partie de l'esprit du Pas-de-Calais est capturée dans ce livre. 
Le Grand A ; 2016 ; Loyer (dessin + couleur), Bétaucourt (récit) ; Futuropolis ; 140 p.
Les deux auteurs, accompagnés d'un photographe, préparent, en suivant la même démarche, un livre sur un palais de justice.
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